Gallimard, « L’un et l’autre », 2010, 96 pages
ISBN : 978-2-07-012926-3
« Si je dormais, au lieu de passer la nuit dans la bibliothèque, peut-être mes rêves nourriraient-ils des pages que la veille va biffer. Je crois plutôt que la nuit sécrète en elle tout le texte qu’on doit en tirer, où qu’on soit, quoi qu’on fasse, mais que seuls le récolteront ceux qui sont affairés. Je m’affaire, je corrige, je déchire, je raboute, j’essaie un synonyme, un autre, je conjugue, je syntaxe, coordonne, parataxe, élimine un personnage odieux, en crée deux qui, d’abord obséquieux, me trahiront comme tous les serviteurs, et barre d’un trait trois pensées qui n’étaient pas fausses, mais pas belles – pauvres écrivains, tenus à appliquer seuls les lois qu’ils ont votées, sans profit pour personne, mais sans non plus ruiner la collectivité. »
Thierry Laget fait partie de ces auteurs que l’on voudrait conseiller à ses amis les plus chers, en espérant qu’ils tireront profit de l’intelligence de son propos, du raffinement de sa prose et de la beauté des livres qu’avec élégance il nous offre. […] J.-B. Pontalis l’accueille pour la cinquième fois dans sa belle collection L’Un et l’autre et il semble que ce soit l’auteur idéal pour ce merveilleux endroit où se retrouvent des écrivains en tête à tête avec leurs démons les plus familiers. Avec Bibliothèques de nuit il nous convie à quelques épiphanies, face à un paysage de Dalécarlie (“le décor de l’une des vies que nous n’avons pas eues”), une obscure rue d’Auvergne où un morceau d’enfance a laissé son empreinte, un parc de la région parisienne où le fantôme de celui qu’il fut revient hanter des allées centenaires pour “observer le monde s’écouler en lui”, devant une vieille boîte de chocolats où s’étale le mystère d’une peinture de grand maître, au cœur de la bibliothèque de l’Assemblée nationale pour une traversée nocturne et solitaire parmi vrais et faux livres. Le travail du souvenir qui était à l’œuvre dans le superbe À des dieux inconnus (en 2003 toujours chez L’un et l’autre) retrouve ici sa pleine mesure : Laget creuse l’espace qui l’entoure pour y trouver des traces du temps, il déchiffre le réel en lui inventant un sens, convoque souvenirs et lectures et, sans jamais cesser d’être personnel, nous ouvre les portes du regard. On conseillera à tous ceux qui désespèrent devant la pauvreté de style de nos écrivains (pour qui le minimalisme scolaire, pas trop difficile, tient lieu de credo) d’écouter la voix de Thierry Laget, complexe et limpide, jamais artificieuse. […] Ecrivain d’un voyage quasi immobile, il est de ceux qui aident à traverser les nuits, et ce n’est pas si fréquent.
Blog de la librairie Mollat, Bordeaux, 2010.
Il y a là de la nostalgie posée, et un plaisir de la sacralisation, de la consécration des choses vécues – l’évocation d’objets comme catalyseur de la pensée, tel ce steamer qui fait posément le va-et-vient quelque part sur un lac nordique, ou une bruyante tondeuse à gazon. […] Oserais-je même dire que j’ai ri ? car il y a de la drôlerie dans les raccourcis, une gourmandise des mots rares […], un plaisir du stylo, une sensualité cocasse des souvenirs, une joie dans l’accumulation qui épuisera, et une effrontée propension à la digression, redoutable exercice quand par-dessus le marché on ne rechigne pas à l’emploi de phrases longues et sinueuses. Avant, ça s’appelait le style.
Vincent Wackenheim,
Secousse, juin 2010.