Belfond, 1989, 190 pages
« Sabre au clair, les soldats d’Italie descendaient l’escalier. Depuis combien de nuits enseignes et fanfares en tête ? Trop de nuits, trop de jours. Peut-être mille cinq cents. Peut-être plus. Venait la Garde consulaire. Venaient les grenadiers, les chasseurs, et les hussards sur leurs chevaux dont les fers tintaient à chaque marche contre la barre de cuivre qui retenait le tapis rouge. Le roulement des tambours, drapés de crêpe noir, était comme un cœur qui bat dans l’obscurité. Venaient les dragons, les artilleurs. Venaient des bonnets à poils, des shakos, des crispins, des nids d’hirondelles, des aiguillettes, des moustaches tombantes, des balafres, des béquilles de fortune, des grimaces édentées, des visages noircis par la poudre et la boue. Vingt huit mille hommes et, jeté sur l’affût d’un canon, le corps du général Desaix. »
Le lecteur croisera ici deux fortunés cambistes qui omettent de régler l’addition au restaurant ; un archéologue, Benoît Juandon, qui entend prouver que l’Atlantide a sombré dans le bassin des Tuileries ; ou encore une commère, Mme Fayolle, à qui profite le malheur d’autrui.
Là, il rencontrera Lucas, fils de chamelier, qui célèbre son anniversaire le 18 de chaque mois, ou Cyprien Nisco, Hellène et maître de musique de son état, qui a participé à la bataille de Lépante en 1571 et donné un récital au harem de Sélim II l’Ivrogne.
Il ne pourra, cependant, rester insensible à la personnalité, ingénue et entêtée, de Claire, professeur d’anglais et vestale d’Antoine. Antoine, compositeur putatif d’un opéra fantôme, contemple cette agitation avec une résignation perplexe.
Mais le héros de ce récit n’est autre qu’un couteau : l’arme avec laquelle Floria Tosca, cantatrice, assassina, il y a cent quatre-vingt-huit ans, le baron Scarpia, chef de la police romaine. Pièce à conviction jadis, aujourd’hui mobile d’amour, le couteau de Tosca apparaît, disparaît, reparaît, telle la mélodie principale de ce roman-représentation en trois actes.
C’est un roman romantissime ; de l’extrait de romanesque où la langue française déploie tous ses sortilèges. Thierry Laget a choisi la rigueur extrême d’un phrasé pur, classique, qu’il fait exploser de loin en loin par d’étincelantes hardiesses d’images ou de mots. Comme Tosca au théâtre est donc aussi une histoire d’amour avec la langue.
Monique Gehler,
L’Événement du jeudi, 27 avril 1989.
Comme Tosca au théâtre, le deuxième roman de Thierry Laget, commence par une fête de l’imaginaire et du baroque. On se croit chez un descendant de Swift, avec des façons tonitruantes à la Lully : un concert d’images dont on ne se demande pas où il peut finir. De surcroît, le style métallique, ferme et sans faille, secoue le lecteur : peu importe où il va. La fête et les masques de Thierry Laget sont fastueux. Quand le réel se saisit de l’imaginaire, celui-ci se dégage et déploie ses oriflammes. Est-ce une œuvre pour notre petite mesure ? Maestro, please, c’est un opéra : rare plaisir !
Alain Bosquet,
Le Quotidien de Paris, 8 mars 1989.